Yrjö KILPINEN : 27 Lieder zu Gedichte von Rainer Maria Rilke, Op. 56
- « Der Tag entschlummert leise »
- „Möchte mir ein blondes Glück erkiesen“
- „Und wie mag die Liebe dir kommen sein ?“
- „Weisst du, ich will mich schleichen“
- „Einen Maitag mit dir beisammen sein“
- „Wenn’s Frühling wird“
- „Ich wollt‘, sie hätten statt der Wiege“
- „Einmal möcht’ich dich wiedersehen“
- „Wo sing die Lilien?“
- „Wir gingen unter herbstlich bunten Buschen“
- “Ich sehne oft nach eine Mutter mich”
- „Im Frühling oder im Träume“
- „Ein Erinnern“
- „Du bist so fremd“
- Kannst du die alten Lieder“
- „Kriegsknecht-Sang“
- „Kriegsknecht-Rang“
- „Krieg“
- „Ich weiß nicht“
- „Das war der Tag der weißen Chrysanthemen“
- „Du willst dir einen Pagen küren?“
- „Volksweise“
- „Rose“
- „Ich möchte draussen dir begegnen“
- „Ein Händeineinanderlegen“
- „Eine alte Weide trauert“
- „Will dir den Frühling zeigen“
Estelle NADAU, Sopran
Frédéric ALBOU, Baß
Jean-Yves SEBILLOTTE, Flügel
C’est à mon ami Frédéric Lemaire, programmateur des concerts de Lieder et mélodies d’Issy-en-mélodies, d’avoir pu pour la première fois aborder les Lieder composés par le compositeur finnois Yrjö Kilpinen (1892-1959) : il était à l’origine question d’un programme portant sur les magnifiques Morgenstern-Lieder, op. 63 à 70 (1928). C’est à mon ami Orlando Bass, pianiste, claveciniste, compositeur, et infatigable découvreur de répertoire, que je dois d’avoir découvert le catalogue des œuvres de Kilpinen publié en 2011 par Keikki Poroila. C’est dans ce catalogue que, outre un large éventail d’œuvres n’ayant encore connu ni performance, ni publication, j’ai découvert l’existence de l’Opus 56, consacré à des poèmes de Rainer Maria Rilke. Amoureux passionné de ce poète depuis mes études d’allemand au lycée et en classes préparatoires, et tout particulièrement des Duineser Elegien et des Sonette an Orpheus. J’ai alors proposé à Frédéric Lemaire d’en donner au moins quelques-uns, qui furent entendus pour la première fois le 17 novembre 2019.
Depuis, l’idée de donner l’intégralité du cycle (27 Lieder) ne m’a pas quitté. L’idée était de les présenter sous une forme analogue à l’Italienisches Liederbuch ou le Spanisches Liederbuch de Wolf, en partageant le cycle entre une voix féminine et une voix masculine. C’est loin d’être un contresens, quand on se rappelle que Kilpinen fut salué comme l’héritier d’Hugo Wolf !
Aussi, c’est avec une motivation particulière que nous vous présentons aujourd’hui ce cycle au complet !
Tout porte à croire que c’est là la première mondiale du recueil. En effet, la première édition officielle, parue en 2012 chez l’éditeur finnois Sulasol, si elle propose des minutages pour quelques pièces, pour un grand nombre d’entre elles, en revanche, omet les indications de tempi, voire, dans certains cas, les nuances, et laisse jusqu’à des erreurs de texte : autant de difficultés qui suggèrent que l’édition a été établie d’après le manuscrit, sans le relais d’une édition précédente. Le cas n’est pas rare, au XXe siècle, et je puis citer plusieurs cycles vocaux de Myeczyslaw Weinberg qui ont, de même, traversé le temps, sans connaître de créations ni de publications, à l’état de manuscrits, portant pourtant leur numéro d’opus !
Les textes ont été choisis dans les trois premiers recueils de Rilke, « Larenopfer » (1895), « Traumgekrönt » (1896) et « Advent » (1897). Dans certains cas, la succession de textes d’un même recueil mis en musique permet de se demander si Kilpinen n’aurait pas, à un moment, envisagé de mettre l’ensemble du recueil en musique.
L’Opus 56 aurait été composé en 1927. Le poète Rainer Maria Rilke étant décédé en décembre 1926, il est vraisemblable que Kilpinen ait voulu par là lui rendre hommage.
Les trois recueils choisis traduisent probablement l’attachement de Kilpinen au poète, sur la base des textes qu’il avait pu découvrir pendant ses années d’étude à Vienne et à Berlin (entre 1910 et 1914). Recourant à des formes poétiques brèves, ils paraissent loin de la maturité du poète, dans le Buch der Bilder (1902), les Gedichte (1910), les Neue Gedichte (jusqu’en 1926), ou surtout les Duineser Elegien (1922) et les Sonetten an Orpheus (1922). Cependant, quelque éloignés qu’ls soient des formes amples de la maturité de l’auteur, ces poèmes de jeunesse trahissent déjà les tensions émotionnelles, les contradictions, passant par des torsions de mots et d’expressions, les glissements de sens, le travail d’amplification des visions et des perceptions, qui sont caractéristiques de son art. L’empreinte de la relation maternelle s’y fait parfois sentir sans filtre, mais toujours la tension est l’occasion d’une sublimation artistique, assumée d’autant plus pleinement qu’en ces années, par l’intermédiaire de Lou Andrea Salomé, le poète entre en contact avec l’éminent Docteur Freud.
Sa formation le conduit d’Helsinki à Vienne et à Berlin, et il devient professeur honoraire, dans la capitale finnoise, d’où il voyage régulièrement, en Europe centrale, et en Allemagne. Il est intéressant de souligner combien, par ses voyages, il se rapprochait de Rilke. Il est possible qu’une forme d’identification ait émergé, de l’un à l’autre, sur ce plan.
Au cours de sa formation en Autriche et en Allemagne, il a vraisemblablement été confronté aux enjeux de la musique sérielle, mais d’une manière très différente des musiciens qui exerçaient sur ces territoires. De retour en Finlande, d’où il a commencé de publier ses premières œuvres, son travail s’inscrivait dans une problématique sensiblement différente. Plutôt que de décider s’il composerait en respectant des séries de 12 sons, se posait pour lui la question de donner à son pays une musique. S’il a beaucoup composé sur des textes allemands et suédois (il parlait les deux langues couramment), il a également été le compositeur le plus productif sur des textes finnois.
Au moment où il entre sur la scène musicale finnoise, la référence nationale est Jan Sibelius. Le glorieux aîné a laissé quelques opus de mélodies, sur des textes finnois, suédois, allemands, ou anglais (Shakespeare). C’est à partir de ces premières pierres, que Kilpinen décline son propre art, et contribue, avec d’autres compositeurs (Toivo Kuula, Aarre Merikanto, entre autres), à créer un véritable art musical finlandais.
Tout est singulier, dans le langage musical de Kilpinen, et ceci, même lorsqu’il aborde la poésie allemande. Il est fascinant de constater qu’on peut difficilement tracer des lignes communes, entre ses Lieder, et ceux des compositeurs germanophones de son temps.
C’est peut-être, au demeurant, ce qui explique sa faveur, auprès d’artistes comme Gerhard Hüsch: le sentiment de s’immerger dans un univers absolument unique, incomparable, et radicalement nouveau… plus encore qu’avec l’Ecole de Vienne !
Il s’agit bien, pour Kilpinen, de prêter une voix à la musique finlandaise, plus que toute autre chose. Son catalogue comporte en effet 790 mélodies et Lieder… dont un grand nombre attendent encore d’être exécutés, et enregistrés!
Si l’on compare sa mélodie la plus célèbre, Vanha kirkko (The ancient church), Op. 54 n° 1 (1927) à ceux de l’Opus 56, nous pouvons dégager des éléments communs, qui permettent de nous approcher d’une caractérisation de l’identité et de l’art du compositeur.
Tout d’abord, la brièveté est un des traits récurrents. Les pièces durent rarement plus de 3 minutes, et un grand nombre, aux alentours d’une minute, font figure de « haïkus » musicaux.
La simplicité du langage mélodique est un second trait. Dans la plupart des cas, les échelles mélodiques sont modales, avec des altérations probablement régionales, comme celle qui revient, précisément, dans Vanha kirkko.
Les parties de piano peuvent elles-aussi être d’une simplicité extrême, comme dans Weisst du, Op. 56 n° 4. Mais il faut se garder d’y voir de l’indigence. La pensée musicale de Kilpinen se déploie dans la réserve, l’économie de moyens, et fait mouche, à mesure qu’elle est retenue.
Lorsqu’il déploie toute l’amplitude de son rayonnement, on découvre alors des peintures pianistiques tempétueuses, qui provoquent des effets sidérants: Wenn’s Frühling wird, et Ich wollt’, Op. 56 6 et 7, respectivement.
Vocalement, les parties de Kilpinen sont essentiellement centrées sur la diction du texte: en cela, elles tournent le dos aux affects hérités du bel canto, et de la grande tradition du Lied, pour ne garder de cette dernière que son expression la plus simple.
La simplicité n’interdit pas des détails abrupts, destinés à frapper, et à illustrer l’univers émotionnel des poèmes. La réserve, et la simplicité structurelle, sont un excellent moyen pour mettre en valeur les déchirements qui ouvrent l’univers sonore, dans des dissonances plaquées, des enchaînements harmoniques inattendus, ou des fausses relations exploitant les modes régionaux scandinaves. Ces « épices » sont un des éléments qui captent le plus l’attention des auditeurs occidentaux que nous sommes.
La question se pose, inévitablement, des influences du compositeur, comme pour son contemporain, Kuula, emporté par la mort trop tôt pour développer tout son éventail de créateur.
Si la plupart du temps, les auditeurs occidentaux que nous sommes demeurent fascinés, dans les mélodies et Lieder de Kilpinen, par l’impression d’étrangeté, la simplicité des contours, des formes, la manière franche avec laquelle il assume les dissonances, et en joue, il arrive que, rythmiquement, ou dans l’univers sonore, on puisse se surprendre à reconnaître des influences, soit du côté de Janacek, par exemple, ou de celui de Mussorgsky, ou de Shostakovich… On pourrait aussi, par moments, trouver des correspondances, entre la retenue extrême de Kilpinen, et l’univers du compositeur catalan Mompou.
Se pose enfin le problème de la relation entre Kilpinen, compositeur finlandais, formé dans des pays germaniques, lui-même s’exprimant en allemand, et composant sur des poèmes de cette langue, avec le régime nazi, parvenu au pouvoir au début des années 30.
Considéré persona non grata par la Finlande, en raison de son attitude complaisante envers le IIIème Reich, il a connu, à la fin de sa vie, une désaffection qui a eu des conséquences professionnelles, et a probablement précipité son décès. L’oubli dans lequel un grand nombre de ses œuvres se trouvent encore a probablement quelque chose à voir avec cela.
Nous faisons la part des choses, entre les choix de l’homme, et le talent de l’artiste, son apport à l’histoire des arts. Sans oublier, ni excuser, les collusions politiques, nous mettons l’oeuvre en lumière, en rappelant les réflexions suggérées dans Le château de Barbe-bleue de George Steiner, invitant à dépasser le problème de la seule culpabilité de l’Allemagne, et à interroger la capacité de projection des œuvres d’art, autant que des modèle spirituels de nos sociétés. La faillite de la culture occidentale est aussi celle d’un système qui a projeté la menace de l’Enfer pendant des siècles… et a fini par réussir à l’incarner sur son propre territoire.
Et si… les familles spirituelles, et les artistes, décidaient de projeter le bonheur, la paix, la tolérance… que réussirions-nous à incarner?
Les recherches que nous avons conduites, en préparant ce programme, indiquent que les Lieder de l’Opus 56 de Kilpinen, sur les poèmes de jeunesse de Rainer Maria Rilke, sont donnés pour la première fois depuis le vivant du compositeur…
Traduire Rilke est particulièrement exigeant, non seulement en raison de la grande proportion de monosyllabes dans la langue allemande, mais, de surcroît, en raison des tournures elliptiques, déjà nombreuses, dès ces poèmes de jeunesse ! Nous avons la chance d’avoir plusieurs recueils de poèmes français de Rilke, publiés à la fin de sa vie, à l’occasion de voyages en France (il fut le secrétaire et ami de Rodin) et en Suisse : ils permettent de mesurer de quelle manière le poète envisageait la résolution de contraintes dans notre langue, et jouait des « licences poétiques » pour condenser le dire.
En tout état de cause, la traduction de poèmes repose toujours sur l’appréciation d’un ratio entre la précision du rendu du sens et la recherche d’une certaine élégance musicale : tout en tenant compte de la variation métrique parfois pratiquée par le poète germanophone, je me suis efforcé de respecter des schémas métriques, en m’approchant du sens au plus près, et en en laissant de côté aussi peu que possible. Mais un tel travail est toujours perfectible, autant qu’imparfait, et n’est fait que pour servir de guide.