Quomodo ſedet ſola civitas?

Comment la capitale est-elle devenue déserte?
Tallis / Byrd

Thomas Tallis
Incipit Lamentatio, 5 v.
De Lamentatione, 5 v.
(Sadlers Partbooks, GB-Ob MS. Mus. e (1-5), Bodleian Library, London)

William Byrd
Miſſa 3 v., ed. s.d.
De Lamentatione, 5 v. (Baldwin Partbooks, GB- Och Mus. 979
Transcriptions: Frédéric ALBOU

Vt Mvſica Poeſis:
Daniel BLANCHARD, svperivs
Xavier de LIGNEROLLES, altvs
Bruno BOTERF, qvintvs
Laurent BOURDEAUX, tenor
Frédéric ALBOU, bassvs & direction
c.n., organ
a = 392 ou 415 Hz (à préciser)
Tempérament mésotonique à tierces mineures pures

Note d’intention:
Les Lamentations de Tallis sont probablement l’oeuvre de la Renaissance la plus célèbre auprès du grand public: redécouvertes dans les années 1960 grâce au Deller consort, dont l’enregistrement de 1968 demeure un best-seller, elles sont par la suite enregistrées par Pro Cantione Antiqua, puis les Tallis Scholars, le Hilliard Ensemble, l’Ensemble William Byrd, et la plupart des grands ensembles anglais, jusqu’à la Chapelle du Roi, dans l’intégrale consacrée au compositeur.
C’est tout à la fois l’étrangeté des lignes vocales, la profondeur des harmonies du quintette de voix d’hommes, la puissance émotionnelle, liée aux textes attribués à Jérémie, qui séduisent les auditeurs. Assez éloignées, par leur style et leur expression, des lignes mélodiques des motets de Palestrina, ces pages tourmentées se rapprochent de celles de Gesualdo, que le Deller Consort fait également connaître au public dans les mêmes années.
Tout particulièrement, l’intensité du texte attribué à Jérémie, évoquant la figure féminine délaissée, maltraitée, qui symbolise Jérusalem, et la destruction du Temple, laisse une empreinte profonde dans l’imaginaire. Celle-ci est rehaussée par la citation des lettres hébraïques initiales de chaque verset: les Elégies étant  poèmes alphabétiques, où les versets sont déclinés au fil des lettres de l’alphabet hébreu, la traduction latine en a conservé les initiales. Celles-ci sont traitées, dans les Lamentations, comme de véritables lettrines musicales, proposant des entrelacs fascinants.

Les partitions originales de l’œuvre de Tallis sont transmises par un faisceau de manuscrits, conservés dans les principales bibliothèques anglaises, à Londres et à Oxford. D’une manière inexplicable, la version du manuscrit le plus ancien, les Sadler’s Part Books (qui pourrait remonter à 1565, selon les experts), conservée à la Bodleian Library à Oxford, n’a jamais été publiée, ni proposée au public, ni enregistrée. Pourtant, sans être radicalement différente des autres versions publiées, elle présente des singularités qui rehaussent encore l’étrangeté de ces œuvres, et soulignent l’intention expressive du compositeur, pour illustrer les textes.

Vt Mvſica Poeſis présente donc une PREMIÈRE MONDIALE de cette version, à la fois la plus ancienne, et peut-être aussi la plus étrange parmi celles qui ont été transmises!!!

L’écriture de Tallis a suscité beaucoup de commentaires: les fausses relations, successives et simultanées (dissonances provoquées par la présence d’une même note, généralement la sensible, altérée différemment, à un point de la polyphonie) sont communément présentées comme caractéristiques de l’écriture vocale anglaise de cette époque. Une analyse plus attentive révèle en fait que plusieurs thèmes et épisodes contrapuntiques empruntent des matériaux à l’écriture du maître de chapelle de Charles Quint, Nicolas Gombert, et à la tradition flamande, qui se retrouve chez Pierre de Manchicourt, Jacques Buus et Clemens non Papa. Les relations diplomatiques et commerciales entre la Grande Bretagne et les Flandres peuvent appuyer ces observations.

Pourquoi associer les Lamentations de Tallis à celle de William Byrd?

Tout d’abord parce Thomas Tallis est le mentor de William Byrd.

Par ailleurs, le manuscrit Baldwin (auquel manque le volume consacré au Tenor) suggère que William Byrd avait en tête EXACTEMENT le même effectif vocal que celui de son mentor, pour sa lamentation à 5 voix: un contreténor grave, deux ténors, un baryton, et une basse. Du reste, choisissant un extrait de la Seconde Elégie de Jérémie, il s’inscrit dans la suite de Tallis, qui traite des extraits de la Première Élégie.

Enfin, les deux musiciens s’inscrivent dans un mouvement de résistance par rapport à l’Eglise anglicane. A l’époque où ils composent leurs Lamentations, ils risquent littéralement leurs vies. C’est sans doute la raison pour laquelle il n’a circulé que des versions manuscrites de leurs lamentations, alors que plusieurs de leurs œuvres religieuses, sur des textes anglais, ont été officiellement publiées.

La Lamentation de William Byrd étonne par le raffinement des lettrines hébraïques, qui évoque l’écriture des fantaisies pour violes, et se rapproche, dans les versets, du lyrisme intense de Thomas Tallis.

La Messe à 3 voix de Byrd s’inscrit logiquement dans ce programme, en ce qu’elle est conçue (au contraire de ses deux autres messes) pour les voix d’hommes. Nous avons d’ailleurs choisi d’accentuer ce fait, en proposant une lecture pour 2 ténors et basse. La fluidité contrapuntique et rythmique de l’écriture souligne combien Byrd peut revendiquer l’héritage de Roland de Lassus.

Vt Mvſica Poeſis présente avec fierté ce programme, intégralement transcrit d’après les sources originales par Frédéric Albou.

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